Atelier d'écriture en primaire : questionner l'espace de pensée


L'atelier qui suit s'est déroulé dans une école primaire, avec la collaboration de trois classes de CM2. Le travail effectué a été conséquent, bien que je n'ai pas réussi à collecter autant d'informations que lors du premier atelier. Je vous laisse découvrir tout cela.

Bonne lecture !



17 novembre 2017 

Première séance : découverte du carnet et du thème



                                                


Le projet de cette année a commencé par une présentation du projet d'écriture aux élèves. D'abord, nous nous sommes installés en demi-groupe dans une salle où se déroulera désormais notre atelier.

Pour entrer dans le vif du sujet, nous avons d'abord lu ensemble un mini carnet d'introduction.

On y comprend que l'atelier est un lieu de création et d'invention pour se libérer aussi des contraintes d'écriture habituelles. Les exercices de grammaire et d'orthographe ne concerneront pas notre travail dans cet atelier. En effet, durant les 8 prochaines semaines, les élèves de la classe de CM2 vont participer à la création d'un objet très spécial : le carnet d'écriture.


        Le choix du thème

Ce n'est pas chose facile pour démarrer... Mais apparemment essentiel pour "cadrer" le travail et avoir une direction. À mon sens, c'est surtout rassurant pour certains. Je ne pense pas que cela soit vraiment important, le carnet d'écriture est déjà un thème.

Alors au bout d'un certain temps, après moultes imprécations, il faut trancher. Entre jeux vidéo, sport et cinéma, nous avons décidé de garder cinéma et d'ajouter le théâtre. Un bon moyen de faire ce qu'on veut quoiqu'il en soit.

Nous allons donc découvrir ensemble au fil des séances ce que les enfants vont imaginer et inventer pour faire de leur carnet un outil au service de leur créativité.

Huit séances pendant lesquelles nous nous exercerons à l'écriture sous toutes ses formes et dans tous les sens.

Mesdames Messieurs, à vos crayons !




29 novembre 2017 

Après quelques séances bien denses



Calendrier des séances d'atelier : 8 séances réparties entre le 8 novembre et le 12 janvier. 

 


L'emploi du temps des élèves étant souvent incertain en fonction des priorités de la classe. Les séances ont été beaucoup adaptées. Parfois raccourcies, parfois divisées. Nous sommes arrivés avec de la souplesse, à faire vivre cet atelier et à entrer dans ce que j'appelle un travail intéressant.

Au bout d'un petit mois de travaux pratiques, les enfants ont fait des avancées sur leurs carnets que ce soit à l'écrit ou en décoration. Cette première période est ce que j'appellerais "l'appropriation de l'objet".

A l'aide de feuilles cartonnées colorées, les enfants ont créé les couvertures des carnets. Ensuite, nous avons relié les feuilles de ce petit livre avec des ficelles sur la tranche...


Après ça, on passe à la décoration : imprimés, gommettes, lettrines... C'est un peu comme un joli bazar organisé. Je ne sais plus où donner de la tête mais c'est en ébullition, l'atmosphère est à la créativité. Un objet prend forme et il va nous suivre pendant quelque temps dans nos pérégrinations. Il commence déjà à en questionner certains et certaines.

Les premières questions sont surtout autour de la finalité de ce travail. Y aura-t-il une note? Est-ce qu'il faut écrire un livre? Qu'est-ce qu'on doit écrire?

Alors j'essaie d'expliquer que la première chose à connaître à propos de cet atelier, c'est que moi non plus, je ne sais pas ce que ça va donner. Mince alors ! Un roman, des histoires, des questions, des trucs un peu brouillons, des dessins... peu importe pourvu qu'ils aient accès à leur espace imaginaire et créatif.

Une chose est sûre, l'appréciation de ce travail revient à l'auteur lui-même, aucune note ne sera attribuée aux carnets. Bien que cet atelier soit compté dans le parcours scolaire des enfants, il ne fait pas l'objet d'un examen. Cela inquiète tant les enseignants que les élèves... Pas les enfants !

Malgré le fait qu'il n'y ait aucune promesse de résultat, j'ai bénéficié de la totale confiance des enseignants, ce qui est un réel avantage pour mener ce projet.



05 janvier 2018 

Présences et autres petites intrusions facultatives



Bien que le titre soit incisif, l'article le sera beaucoup moins, j'espère. L'une des séances d'écriture en carnet s'est vue prendre une tournure étrange. Je pense que je dois m'arrêter quelques minutes et m'interroger sur ce sujet : l'intrusion. Peut-être que ce terme mérite d'être affiné, il le sera au fil de l'écriture...faisons fonctionner nos petites cellules grises.

Pour donner un contexte à cette affaire, nous avons eu la présence d'un bénévole au sein de l'établissement scolaire et de l'atelier pour une séance. Ainsi donc nous voilà en présence d'une nouvelle personne...munie d'un appareil photo !

Après des présentations et l'accord des enfants pour se faire photographier, le voilà parti pour s'exécuter. C'est finalement les enfants qui tour à tour ont pris des photos de leurs travaux et de leurs camarades et bien entendu des "animateurs". (Comme dirait une vieille connaissance : c'est donnant-donnant.)

La séance avançant, notre ami se lance dans la découverte de cet atelier d'écriture. J'observe ce qu'il se passe, tout en essayant de gérer le stand paillettes qui éveille la créativité ou quelque chose comme ça...

J'appréhende. Pourquoi, je ne sais pas vraiment. Il faut avoir confiance en le travail que nous avons fourni avec les enfants. Le temps passé à explorer les possibilités autour du carnet, les essais, les discussions, les propositions... Mais voilà, il y a une nouvelle personne, ce n'est pas rien dans un tel travail autour de l'espace personnel. Égoïstement, je ne voudrais pas d'apport extérieur et pourtant c'est essentiel. En y réfléchissant, c'est là une occasion peut-être d'observer les déplacements discrets, les échanges...

Mon appréhension prend corps lorsque j'entends les enfants et notre bénévole discuter. Il s'agit en fait d'un cours sur les règles d'écriture pour pouvoir faire une "bonne histoire". Les deux pieds sont dans le plat : qu'est-ce qu'une "beaunne histouare" ? En voilà un qui n'a pas beaucoup d'imagination.

Finalement et fort heureusement, les enfants sont dotés d'un talent fou pour esquiver la contrainte. Ils hochent donc la tête puis retournent à leur écriture.

Malgré cette régression dans notre espace avec ces quelques remarques du comment bien faire, rien ne bouge à par leurs petites têtes de haut en bas.

C'est un fait l'atelier n'obéit à aucune règle quant à l'écriture. Il est d'abord un endroit où on laisse venir les idées, où l'on cherche à plusieurs...

Cette séance fut rude à mener également pour les autres passages intempestifs dans notre espace de travail. L'une ouvre la porte, passe la tête discrètement et l'air couillonne nous regarde sans un mot, comme si nous donnions un spectacle; l'autre entre dans la pièce sans mot, circule de table en table pour voir ce que les enfants font, puis s'en va. Autant d’énergumènes laissant pantois.



29 janvier 2018 

Vers la fin des séances...

Après quelques semaines d'écriture avec les enfants, nous arrivons au terme du temps qui nous était imparti.

Une expérience riche en nouvelles découvertes pour moi mais pour les enfants également. Tous au travail autour du même objet, nous avons réussi à créer un espace. Chacun a pu trouver son rythme et engager une recherche d'écriture sous différentes formes.



12 février 2018 

Pour clore ce premier atelier



    Deux thèmes : cinéma et théâtre, pas de règle d’écriture particulière, voilà quelque chose d’inhabituel pour des élèves de cm2. L’aspect informel de cet atelier a questionné, surpris, ralentis ou au contraire motivé les élèves.

Les enfants ont su s’emparer de ces deux thèmes de différentes manières. Chacun a fait sa propre interprétation du projet et chacun a pu exprimer à sa manière ce que cela représentait pour lui.


Evolution de l’atelier : de la création de l’objet à l’écriture


        a. Construction / élaboration

Nous avons d’abord fabriqué les carnets sur plusieurs séances, c’est ce que nous nommerons l’appropriation. Ce travail étant un projet tout nouveau pour les élèves, on consacre un certain temps à l’appropriation de l’objet, de l’espace et de la temporalité de celui-ci.

Ce temps-là est très subjectif. Chacun a pris plus ou moins de temps pour entrevoir quelque chose qui lui correspondait dans cet atelier. Des groupes de travail se sont petit à petit formés. Lorsque quelques uns collaborent, d’autres préfèrent se retrouver en tête-à-tête avec leur carnet.

Certains ont tout de suite su ce qu’ils voulaient faire dans cet espace, d’autres ont jusqu’à la fin tourné autour d’une idée ou de plusieurs idées. Le travail d’élaboration est très différent d’un élève à l’autre, il est donc nécessaire de donner le temps aux enfants de s’approprier le format carnet et la liberté dans le choix de ce qu’on écrit.

Cette étape d’élaboration se traduit souvent par des questionnements répétés, des propositions qui aboutissent ou non, des avancées puis des retours en arrière.

L’étape de construction est nécessaire pour la réflexion, elle agit comme un tuteur permettant d’élever la pensée autour de l’écriture. Les enfants cherchent de cette manière à entrer dans ce qui leur est proposé dans ce projet.


        b. Mise en place de l’écriture

Le passage à l’écriture est le plus souvent la seconde partie de la confection des carnets. Plusieurs angles d’entrée dans l’écrit ont été adoptés.

En effet, selon les enfants et leur compétence écrite, l’utilisation du dessin, du calque ou encore du collage ont rendu l’écrit moins formel. C’est un vrai risque pris d’inventer sa propre histoire. Alors, passer par la manipulation des images peut permettre d’engager un premier travail vers l’écriture.

Pour certain le recours à des fictions de leur univers de référence est venu soutenir leur cheminement.

Pour ceux qui ont souhaité reprendre des fictions déjà existantes, on retrouve notamment des références issues de la culture du jeu vidéo avec "Assassin’s creed" et la "Légende de Zelda", puis des références liées à la télévision comme la série "X Files".

Les apprentis écrivains ont su adapter l’atelier à leurs capacités pour qu’un travail soit envisageable.

Le recours à ce qui est « déjà écrit » comme les fictions citées, ne retire pas au travail d’imagination et d’écriture son originalité et son importance, ce ne sont que les points de départ vers une suite.

D’autres enfants, en revanche, ont choisi la pure invention. Le carnet est alors entendu comme « un livre à écrire ». Il comporte des chapitres que les apprentis écrivains ont menés avec brio sur un mode de narration alors très conforme à ce qu’ils ont très certainement l’habitude de côtoyer dans les œuvres de littérature de jeunesse de type romanesque ou théâtral.

S’inspirant d’histoires déjà connues ou inventant tout depuis les personnages, en passant par le décor jusqu’à l’intrigue, les élèves ont, par leurs carnets, effectué un travail d’élaboration et de construction d’une écriture « personnalisée ».


        c. Réalité et fiction : interprétation des enfants

L’interprétation de ce travail d’écriture est très subjective. Les différents textes et images créés par les enfants reflètent une forme très personnelle d’expression. En se servant du réel et de la fiction, les enfants ont pu laisser s'exprimer leur caractère singulier d'auteur de carnet.

Au fil des séances, les enfants ont créé des repères dans leurs histoires notamment par la recherche de lieux précis et existants. Certains carnettistes ont donc fait leurs recherches et ont inséré dans leur schéma narratif les lieux selon leur fonction réelle : une banque, un observatoire…correspondant à l’évolution de l’intrigue. L’idée du lieu et de sa fonction sont deux éléments qui ont pu mûrir avec le temps pour s’insérer dans le texte et surtout pour lui apporter du sens.

Ces choix ont une réelle importance pour donner une stabilité au texte et pour construire la suite de l’intrigue. Ils agissent comme des points de repères dans l’espace et dans le temps.

D’autres à l’inverse ont pris pour décor des lieux communs avec l’idée inverse de dépersonnaliser le lieu. Plutôt que de chercher à reproduire leur réalité par le dessin ou même la photographie, ils préféraient avoir recours à l’image la plus impersonnelle possible.

La construction de l’univers imaginaire et narratif est alors plus présente et plus intense. Ce travail engage davantage de créativité. On ne part d’une devanture de boulangerie par exemple, reste alors tout l’univers et toute l’atmosphère à construire.

Pour d’autres, le format carnet se prêtait bien à la réalisation du genre médiatique. En confectionnant un journal sportif, les élèves ont voulu insérer des faits réels de l’ordre du fait divers. Puis petit à petit, le besoin d’inventer une histoire plus que de relater la réalité s’est fait sentir. Entre réalité et fiction, ce carnet a su interroger le genre narratif par son format et par son contenu.

La difficulté pour ce projet-là de journal sportif était d’aborder le genre journalistique et d’arriver à tenir dans le temps avec ce format particulier où se mêlent réalité et fiction. Il y a peut-être ici la possibilité d’interroger la réalité les actualités par le biais du carnet.

Ce travail est avant tout une recherche de l’écriture sur un long terme. Le temps passé aux côtés des enfants a permis de constater à quel point ce travail questionne d’abord leur interprétation singulière de ce que peut être l’écriture libre.

Ce temps dédié à la pensée et à son cheminement vers un possible résultat écrit est récompensé par de nombreuses manifestations d’écritures ou plutôt de passages à l’écrit.


L’atelier a finalement démontré que les apprentis carnettistes arrivent par leurs propres moyens que ce soit en dessinant, en essayant, en observant ou en rédigeant, à entrer dans ce travail d’écriture par l’espace de pensée qu’il permet.






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