Energies organisées - John Dewey

"Buts sous-jacents et expériences partagées..." (expression empruntée à Carla Campos lors du Colloque John Dewey) ...que l'on peut inverser, afin d'affiner notre idée de ce que pourrait être la transmission d'une forme de littérature. Ainsi, nous nous trouvons en présence de buts partagés et d'expériences sous-jacentes. 

Lorsqu'on est soi-même impliqué dans un travail de lecture ou d'écriture, on se fixe un objectif. Il arrive parfois que l'on se trouve impliqué dans une expérience dirigée vers un but sans en avoir conscience. 

Cette vision binaire de l'activité de soi en lecture ou en écriture reviendrait à faire une distinction semblable dans un autre champs, entre oeuvre d'art et produit de l'art (John Dewey 2014:273). Nous distinguons l'expérience du but comme si nous devions faire une différence entre une oeuvre et un produit de type artistique. Or, "l’occurrence de la chose est le point de départ d'une intéraction complexe" faite d'évolutions diverses, "d'impulsions" et de "tensions" (ibid.). Nous serions donc en présence d'une interaction complexe faite d'"énergies organisées". On tient compte alors de tous les éléments constitutifs de cette chose, et plus seulement d'un côté son comment ou encore, son pour quoi. 

Une autre distinction est mise en exergue par Dewey (2014:286) à propos du produit de l'art et de la mesure de sa perfection. Bien souvent, selon lui, se manifeste une "séparation de la substance et de la forme". Cela revient à considérer une seule partie du tout et de la considérer comme une caractéristique principale de l'oeuvre, telle la métonymie. 

Cela est dû au fait que "le rythme [en tant qu'interaction entre l'homme et la nature] est limité à la variation [réduite elle-même à une seule phase de l'oeuvre (2014:285)] et que la récurrence [esthétique vitale, physiologique et fonctionnelle (2014:284)] est réduite à un seul trait". Ceci est valable pour la peinture, le théâtre, la poésie ou l'architecture. Cette vision est selon Dewey restrictive. Dans la mesure de la perfection d'une oeuvre, les "liens rythmiques [autrement dit les interactions entre les constituants de l'oeuvre] se préservent et se valorisent mutuellement de façon cumulative pour faire naître l'expérience" (2014:287). Si l'on considère ensemble ces facteurs, la substance et la forme sont une expérience complexe et unifiée. L'identification distinctive du contenu et de la forme de l'objet est plus une question de "nombre et de variété des relations coopérant à la forme" (ibid.). De cette manière, expériences et buts sont davantage des énergies complexes en relation, se comportant de manière anarchique et organisée à la fois. 

La mesure de perfection de la chose est en tout cas l'objet de cette réflexion. Nos buts "partagés" et expériences "sous-jacentes", si tant est qu'il y en ait, en tant que lecteur ou scripteurs sont par là des éléments mesurables en matière de perfection. Les sujets créent eux-mêmes une expérience littéraire par la multiplication et la variété des énergies relationnelles avec l'objet. 

L'objet en question pourrait alors aussi bien être le carnet auquel je m'intéresse à travers mes travaux. On comprend alors que la mesure de la perfection ici ne réside pas dans l'objet lui même, ni dans l'écriture et sa grammaire. Les expériences diverses et variées autour de cet objet d'écriture sont mises à l'épreuve. Elles sont une forme de rythme, au sens de Dewey, et auquel je m'attache à observer les moindre mouvements, tel l'épistémologue observe le scientifique, "sa pratique instrumentale, mais aussi le monde social et culturel dans lequel il baigne" (Latour, 2005:18). 


Dewey John, 2014, L'art comme expérience, Paris, Folio essais, Gallimard. 
Latour Bruno, 2005, Un monde pluriel mais commun. Entretiens avec François Ewald, La Tour-d'Aigues, Edtions de l'Aube.

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