Questions pour une chercheuse


Notice biographique 
Chercheuse diplômée d’un master de Didactique du Français Langue Étrangère spécialité “illettrismes, interculturalité et FLE/FLS”, délivré par la Sorbonne Nouvelle, dont l’intérêt réside dans les carnets d’écriture qui ont fait l’objet d’une enquête de terrain pour le mémoire : Le carnet d’écriture, pédagogie de la proposition. 


Que se passe-t-il avant le mémoire ? 

Les carnets d’écriture sont d’abord une pratique observée et vécue : j’ai été témoin de nombreuses formes d’écriture en carnet, calepin, agenda, bloc-notes, journal, cahier, listes, etc à travers mon travail; et je suis moi-même en relation avec cette forme d’écriture de soi. C’est ainsi l’alliance de choses d’intérêt professionnel et personnel. 
On peut parfois penser que l’on est ici par hasard, ou bien que l’on est ici parce que nos intérêts convergent avec ces disciplines : la didactique ou la littérature. Il faut être conscient que de toute manière nous sommes dépassés par les événements. Rien est stable dans la recherche. Malgré les objectifs très précis, les sujets bien emballés, les hypothèses fleuries, on est toujours loin d’imaginer l’étendue des interrogations que nous soulevons. C’est ce qu’il s’est passé avec les carnets, mon travail de mémoire a mené vers une thèse petit à petit, car, je pense qu’ il y a encore des choses à faire et encore des choses à dire sur ce sujet. 
Si avant le mémoire, il est encore difficile d’être certain de ce que l’on va faire, il est une chose que l’on peut connaître : notre art, ce en quoi l’on excelle. Si comme moi, vous êtes catégorisée comme étudiante moyenne, ce n’est pas grave. Le tout est d’avoir des choses à dire. 
Pour trouver un sujet, il y a ce que j’appelle l’événement salvateur, il arrive par hasard (ou pas), en tout cas il tombe toujours à pic. Pour moi, ça a été un enchaînement de choses : des rencontres avec des personnes, avec des carnets, des discussions... Il s’agirait alors peut-être d’être à l’écoute ? et de ne pas passer à côté de cette fameuse rencontre avec votre sujet. (S’il ne vient pas, il y a toujours des sujets tout prêts, demandez à votre directeur de recherche). 
Ce que je veux vous dire c’est que la recherche est une affaire de distanciation avec le mémoire lui-même. L’écoute, l’observation, l’écriture, la lecture, sont des activités préliminaires qui ont besoin d’espace pour être et pour faire sens ensemble et séparément. C’est une forme d’engrenage logique d’événements, de situations, de phrases et de citations qui vont vers quelque chose de plus en plus concret. 
Le temps doit pouvoir passer sur votre travail avant tout. 

Que nous arrive-t-il pendant le mémoire ? 

« Et si au lieu de leur apprendre à parler, nous apprenions à nous taire ? » Deligny 
Tout l’art de ma recherche a résidé en cela, le silence. 
J’ai mis en place les carnets d’écriture dans des cours de français pour adultes. J'insiste bien : des cours de français pas des ateliers d’écriture, donc avec des objectifs d’enseignement. Figurez-vous une quinzaine de personnes qui apprennent tout juste à écrire, à qui l’on propose de rédiger un carnet, sans contraintes de temps ou de quantité d’écriture mais sans sujet non plus. Cette proposition a été entendue par certaines personnes, pas toutes. Nous avons donc avec ces personnes, cheminé, par des discussions, des interrogations, des lectures… Nous avons inconsciemment produit un espace dans le cours consacré aux carnets. 
L’ennui dans ce projet c’est que l’institution pour laquelle j’écrivais mon mémoire avait besoin de résultats concrets, lisibles et visibles. Mais comment rendre aux yeux ce que le temps a volé ? Car les carnets seuls n’étaient pas preuves suffisantes pour une analyse didactique de la pratique d’écriture chez ces personnes. Le travail d’écoute ici, c’est de voir au-delà des pages d’écriture du carnet. Les carnets d’écriture n’ont pas fait l’objet d’une observation et d’une analyse didactique ou littéraire. Je ne les ai pas décortiqué page par page, au contraire. Ils ont mis du temps avant d’être, avant de faire sens. J’ai d’abord observé comment ils arrivaient à exister, comment ils avaient créé un espace, davantage que ce qu’ils étaient dans leur finalité. Lorsque vous rencontrez quelqu'un vous vivez chaque instant n’est-ce pas, c’est ce qui est constitutif de votre relation. Vous n’attendez pas l’heure de vous quitter pour vous dire voilà je suis en relation avec cette personne. Le mémoire est exactement pareil, chaque instant compte, chaque espace compte aussi, rien est insensé. Le mémoire n’est pas seulement un travail d’écriture, il en va de l’écoute globale d’un environnement, y compris des choses discrètes et silencieuses qui s’y déroulent. Alors toutes ces réflexions que nous avons menées avec ce groupe de personnes ont permis de voir au-delà, elles ont délié des paroles et noué des liens, résonné chez certaines personnes. Encore fallait-il prêter attention à toutes ces petites choses qui bâtissent un mémoire. 

Pourquoi s’achève l’écoute, l’écriture et pourquoi pas ? 

Lorsque je relis mes notes de recherche, je me surprends à avoir été bien plus clairvoyante sur le moment que maintenant. Il y a une forme d’écoute à l’instant où l’on prend ses notes qui est brûlante d’inspiration, de résonances avec des multitudes de choses.On écrit alors peut-être une écoute particulière, liée à un moment et un espace. Relire, serait alors une écoute de soi, une aide à la réflexion, ou à la méditation des esprits philosophes selon Foucault. 
L’écriture est malmenée en somme, d’un espace-temps à l’autre. L’écoute est par là une forme de représentation des choses, différente selon les moments et les lieux, les points de vue. Par exemple, un moment où l’écoute est anéantie : la soutenance. La soutenance est insoutenable puisque là, on est astreint à écouter, à parler, voire même à lire donc relire ses propres phrases pour se soutenir soi-même. Comme si d’un seul coup nous étions dépossédés. Il n’y a rien de moins à l’écoute qu’une soutenance. 

Et après la recherche ? 

Pour une écoute plus durable votez Banks ! 
« Voir plutôt que comprendre, n’est-ce pas là le secret de l’empathie ? » Banks. 
A bien des égards, il faudrait s’abstenir d’essayer de comprendre ses propres recherches et ainsi ses propres sujets. Rien est tout à fait stable et certain, tout est en mouvement. Voir plutôt que comprendre, autrement dit, laisser un espace d’intimité aux choses. Un espace de mouvance, lâcher du lest et voir. Il y a peu de choses compréhensibles, mais il y en a beaucoup plus d’observables. 


Références bibliographiques : 
Banks Russel, Furlan Pierre, Le livre de la Jamaïque, Actes Sud, 2012. 
Deligny Fernand, Graine de crapule, conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver, Editions du Scarabée, 1960. 
Foucault Michel, Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1983, p. 415-430.

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