Premier essai sur l'archéologie


L'Archéologie en didactique des langues 

Pour élaborer une définition de l'archéologie en didactique des langues, il faudrait reprendre ce que Michel Foucault a proposé à travers deux de ses œuvres, Les mots et les choses.Une archéologie des sciences humaines paru en 1966 et L'Archéologie du savoir paru en 1969. Je considére mon travail de recherche comme « une Archéologie des sciences humaines » ayant pour objet les carnets d'écriture. Tout comme il est inscrit sur la quatrième de couverture de l'édition Gallimard de L'Archéologie du savoir, il s'agit là d'un « mot dangereux puisqu'il semble évoquer des traces tombées hors du temps et figées maintenant dans leur mutisme ». Le constat que fait Michel Foucault de la condition du savoir évoque de la même manière un état aphasique de la connaissance. 

« De la mobilité politique aux lenteurs propres à la « civilisation matérielle », les niveaux d'analyse se sont multipliés : chacun a ses ruptures spécifiques, chacun comporte un découpage qui n'appartient qu'à lui ; et à mesure qu'on descend vers les socles les plus profonds, les scansions se font de plus en plus larges. Derrière l'histoire bousculée des gouvernements, des guerres et des famines, se dessinent des histoires, presque immobiles sous le regard, — des histoires à pente faible : histoire des voies maritimes, histoire du blé ou des mines d'or, histoire de la sécheresse et de l'irrigation, histoire de l'assolement, histoire de l'équilibre, obtenu par l'espèce humaine, entre la faim et la prolifération » (1969 : 9). 

Alors, là où on dépeint une sorte de lenteur liée à la vison continue de l'histoire, Foucault propose de procéder autrement et de dynamiser la connaissance par le changement du point de vue historique. Dorénavant, c'est la discontinuité et l'interruption par les phénomènes de « seuil, rupture, coupure, mutation, transformation » (1969 : 12) qui définissent les frontières entre chaque période, chaque courant ou chaque catégorie. Il écrit ainsi : « en somme l'histoire de la pensée, des connaissances, de la philosophie, de la littérature semble multiplier tous les hérissements de la discontinuité, alors que l'histoire proprement dite, l'histoire tout court, semble effacer, au profit des structures sans labilité, l'irruption d'événements ». 
 
Mon sujet de recherche est directement lié à cette interrogation sur le temps et de son influence sur l'histoire. Là où on oublie les événements qui ont pu ponctuer notre histoire, les journaux intimes, les carnets de bords, etc, ont su garder en eux une trace écrite de ces choses-là. 

Le carnet peut être considéré comme un vestige des pratiques sociales à travers les époques. Par celui-ci, il nous est possible de comprendre certains pans de nos sociétés, du monde des arts par exemple. Les cahiers de Picasso permettent de mieux appréhender le contexte dans lequel l'artiste à évolué, notamment ses voyages en Afrique. La « mutation » de l'écriture est également très nette et souvent liée à l'époque. Philippe Artières a justement fourni pour cela un ouvrage dédié aux écrits de détenus, Le livre des vies coupables, 1969. Mon archéologie est dédiée à la subjectivation et à la relation par l'écriture. Les origines de l'écrit constituent le premier indice quant à la formation de variétés d'écritures de soi et pour soi. Pour comprendre le phénomène d'écriture en carnet, il semble nécessaire de tenir compte de la pratique ancestrales de marquage et sa transformation pour en arriver à ce que je mets en place sur mon terrain de recherche. 

La pratique de l'histoire ou de l'historicité est intrinsèquement liée à ma recherche. Je suis tentée de rechercher et formuler des litanies recensant toutes les transformations liées à « l'essence » même de mon sujet (Van de Wiele Jozef, 1983 :601). Bien que le champ d'investigation de ce travail soit en premier lieu la didactique, il paraît impossible de s'en tenir à ce domaine uniquement. Nous sommes ancrés dans une très longue tradition en perpétuelle évolution. Le rapport entre notre histoire et la didactique est claire, nous étudions une façon d'entrer dans l'écrit en tenant compte d'un savoir faire en prise avec une histoire, des historicités. 

Jacques Derrida dans L'écriture de la différence, ne manque pas d'inclure le graphein dans une interrogation « historique », dans une « région — disons encore, provisoirement, de l'historicité » (1967:428). Il lui paraît évident que « la thématique de l'historicité, bien qu'elle semble s'introduire assez tard dans la philosophie, y a toujours été requise par la détermination de l'être comme présence » et que « le concept d'epistémè a toujours appelé celui d'istoria si l'histoire est toujours l'unité d'un devenir, comme tradition de la vérité ou développement de la science orienté vers l'appropriation de la vérité dans la présence et la présence à soi, vers le savoir dans la conscience de soi ». Il y a bien une omniprésence de l'historicité à travers l'existence d'une conscience de soi et d'un exercice d' « appropriation d'une vérité ». Le concept de présence, de présence à soi englobe cette réflexion sur l'histoire. Qu'est-ce d'autre qu'une présence à soi que de s'engager dans une archéologie des écritures de soi ? Tant dans la méthodologie que dans la forme philosophique du terme, l'archéologie est une manière d'être à soi et d'entrer dans ce que nous avons nommé l'expérience de subjectivation. 

Dans Dits et écrits, Foucault invite à une considération historique des pratiques de « gouvernement de soi et des autres » (1983 : 415). Il étudie la culture gréco-romaine du Ier et IIème et notamment de la Vita Antonii d'Athanase d'Alexandrie, évêque d'Alexandrie de 328 à 373. Il place les hupomnêmata et la correspondance comme des formes historiques d'askêsis, autrement dit d'ascèse ou d'écriture de soi. Entre en recherche alors un nouvel aspect, une forme mystique, sacrée de l'expérience de subjectivation. L'ascèse est inévitablement connotée religieusement car c'est une forme de discipline qui tend vers un perfectionnement moral artistique ou intellectuel (définition CNRTL, Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, 2002) or au IVème siècle, cela appartient exclusivement au domaine de la religion. 

L'évolution des pratiques langagières et de la vision de celles-ci n'a cessé de se transformer à travers les temps et les lieux, à l'oral et à l'écrit. Cette distinction a fait l'objet de débats de fond afin de situer ces deux notions l'une par rapport à l'autre. Jack Goody à travers ses enquêtes livre une approche culturelle de ces deux notions. La raison graphique. La domestication de la pensée sauvage (1979) va plus loin dans l'étude de l'écriture, notamment dans la pensée par l'écriture. Comme cité précédemment, l'hupomnêmata a une fonction d'ascèse (Foucault, 1983:415). La forme écrite est donc considérée comme un exercice de pensée. Chez Goody, on considère qu'il existe une écriture qui n'est pas la transcription de l'oralité mais bien une forme particulière de pensée, soutenue et développée par l'écriture. 

Le mythe est à l'oralité, ce que l'archive est à l'écriture. Entre ces deux formes employées par et pour langage, il existe une même profondeur relevant de l'historicité. C'est d'ailleurs avec des auteurs d'Afrique tel qu'Amadou Hampâté Ba qu'il est possible de comprendre la fonction de l'oralité et de l'écriture à travers le temps et les évolutions de la société. Nous trouvons des œuvres tel que Textes sacrés d'Afrique noire préfacé par Amadou Hampâté Ba lui-même et rédigé par Germaine Dieterlen paru en 1965 pour la première fois ; un recueil de textes considérés comme sacrés : des prières, des invocations, des chants, des contes …principalement recueillis en l'actuel Soudan. Ce dernier ouvrage permet de s'interroger sur l'absence d'écriture, mais non l'absence d'une présence à soi.

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