L'archive : entre la tradition et l'oubli


A l'occasion d'un atelier de lecture autour de Michel Foucault, j'ai repris L'archéologie du savoir (1969) et j'ai sélectionné quelques paragraphes sur l'idée d'archive.
 
Ma réflexion s'oriente sur les notions de tradition et d'oubli. Deux termes qui mis côte-à-côte m'intriguent. Dans ma recherche autour du carnet et de l'écriture dédiée à la subjectivation et à l'imaginaire, pourquoi ces deux notions semblent-elles entrer en résonance ? Comment la tradition et l'oubli peuvent concerner l'atelier d'écriture avec des enfants ? Et enfin comment les enfants peuvent réagir à ces deux termes ? 


D'abord, une définition de l'archive par Michel Foucault : 

Au lieu de voir s'aligner, sur le grand livre mythique de l'histoire, des mots qui traduisent en caractères visibles des pensées constituées avant et ailleurs, on a, dans l'épaisseur des pratiques discursives, des systèmes qui instaurant les pensées comme des événements (ayant leurs conditions et leur domaine d'apparition) et des choses (comportant leur possibilité et leur champ d'utilisation). Ce sont tous ces systèmes d'énoncés (événements pour une part, et choses pour une autre) que je propose d'appeler archive. 
Par ce terme, je n'entends pas la somme de tous les textes qu'une culture a gardés par-devers elle comme de son propre passé, ou comme témoignage de son identité maintenue; je n'entends pas non plus les institutions qui [...] permettent d'enregistrer et de conserver les discours dont on veut garder la mémoire et maintenir la libre disposition. C'est plutôt, c'est au contraire ce qui fait que tant de choses dites, n'ont pas surgi selon les seules lois de la pensée, ou d'après le seul jeu des circonstances [...] mais qu'elles sont apparues grâce à tout un jeu de relations qui caractérisent en propre le niveau discursif. Mais l'archive, c'est aussi ce qui fait que toutes ces choses dites ne s'amassent pas indéfiniment dans une multitude amorphe [...] mais qu'elles se regroupent en figures distinctes, se composent les unes avec les autres selon des rapports multiples, se maintiennent ou s'estompent selon des régularités spécifiques; ce qui fait qu'elles ne reculent point du même pas avec le temps, mais que telles qui brillent très fort comme des étoiles proches nous viennent en fait de très loin. 
(Foucault, 1969:169-170) 


Michel Foucault définit l'archive selon de grands principes qu'il décrit : 

1.L'archive se définit par le système de son énonçabilité, par opposition à la brièveté de l'énoncé-événement. 

2.L'archive se définit par le système de son fonctionnement, c'est-à -dire le mode d'actualité de l'énoncé-chose, là aussi pour différencier les discours entre eux "dans leur existence multiple" et "dans leur durée propre". 

3.Langue, corpus et archive sont trois niveaux égaux mais distincts du langage, "l'archive définit un niveau particulier" (1969:171), où l'archive "fait surgir une multiplicité d'énoncés comme autant d'événements réguliers [...] entre la tradition et l'oubli, elle fait apparaître les règles d'une pratique qui permet aux énoncés à la fois de subsister et de se modifier. C'est le système général de la formation et de la transformation des énoncés" (1969:171). 



Il me semble en tout cas que Michel Foucault parle de liberté. Une forme de liberté de circulation de la pensée et de ses idées. Quelque part, je cherche à me rapprocher de cette notion d'archive chez Foucault. J'essaie de cerner mon sujet un peu plus avec cette idée. Il y a effectivement dans l'écriture en carnet une forme de témoignage d'une tradition d'écriture. Je fonde ma recherche d'ailleurs sur quelques recherches historiques de cette pratique-là d'écriture de soi en carnet. La tradition est aussi dans l'apprentissage de la langue par l'écrit. Et je tente de donner à cette forme de tradition une liberté qui se décline à différents niveaux. 

Mais alors l'oubli, qu'en est-il ? C'est toute la question, pourquoi vient-on à l'école? Pour apprendre et garder en mémoire afin de construire sur des bases solides, historiques, scientifiques. D'ailleurs le CM2 est un cycle dit de "consolidation". L'oubli est omis, mais pourtant bien présent. On oublie quoi dans notre atelier ? Rien en particulier ou tout à la fois ? On oublie de se poser la question surtout. 

Un dernier point soulevé par Michel Foucault, celui de la relation pour assurer la pérennité de l'archive, nous renvoie à notre propre sujet de recherche qui inclut la relation. Les choses dites, les archives : "elles sont apparues grâce à tout un jeu de relations qui caractérisent en propre le niveau discursif" (1969:170). Il y a donc pour assurer un devenir à l'archive un lien qui se tisse sans effort et sous notre nez, entre les discours, les choses, les événements, les personnes, etc. 


Bibliographie : Michel Foucault, L'archéologie du savoir, Gallimard, Paris, 1969.

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