Jean-Louis Etienne, comment se perdre ?




crédit photographie C. Poisson





Persévérer, est-ce qu'on ne s'est pas tous un jour posé la question, dois-je continuer dans cette direction ou est-ce une erreur ? 

Certains n'abandonneront jamais leur objectif quitte à y laisser des plumes (ou des doigts),  d'autres penseront plus sage de s'arrêter là et de garder un peu d'énergie pour autre chose, d'autres agiront sans se poser la question. 

Dans le livre Persévérer de Jean-Louis Etienne, la persévérance c'est une légère sensation chaleureuse d'être là ou l'on devait être, malgré tout et tout le monde. Une échappée urgente vers soi, persévérer pour soi.

Avec le recule, ça me rappelle le jour où j'ai décidé de visiter la presqu'île de Howth en Irlande... 
Cette aventure que je m'apprête à vous raconter, j'ai envie de l'appeler Contretemps.

Ce fameux jour, j'étais partie seule dans l'idée de faire une petite randonnée sur la presqu'île de Howth située à l'est de Dublin en Irlande, où je vivais à ce moment-là. J'avais prévu d'emprunter les sentiers balisés en rouge, jaune, vert ou noir. "Jusque là tout va bien". J'ai donc pris un train qui m'a déposée à la gare directement, plus qu'à descendre et c'est parti.

Plus j'avançais, plus c'était rafraîchissant d'être là, maître de ma journée, d'aller où je voulais, de m'arrêter si j'en avais envie. 
Une petit halte sur le port. À mon grand étonnement, il y avait des phoques au milieu des flots qui fixaient les touristes. Au bout d'un moment à s'observer, on ne savait plus très bien qui était venu voir qui. 
Après avoir passé le checkpoint du randonneur : une sorte de baraque aux murs tapissés de petites coupures des quatre coins de la planète, meublé d'une table avec des collations, une chaise, du merdier et un radiateur, j'empruntais un sentier avec la mer à ma gauche et la végétation épineuse à ma droite. Les petits villages en pierres s'enchaînaient. Des gens devant, des gens derrière, on marchait tous pimpants, gaillards, il était encore tôt. J'étais avec ma horde de "wanderers". 
Après deux bonnes heures de marche, j'ai fait une petite pause comme la plupart des randonneurs dans le seul café sur la route, j'avais très envie d'aller aux toilettes et je me suis dit qu'un petit café chaud me redonnerait un coup de fouet. 

La pluie s'installait doucement mais sûrement. Ça ne me dérange pas, j'aime bien la sensation d'être dans ma capuche, d'entendre ma respiration et les gouttes d'eau. Tout mes petits commentaires de randonnée résonnent dans ma capuche comme si un petit être me parlait sans arrêt : "Ça flotte sec les gars !".

La journée passait, je marchais et je chantais à voix basse.
Puis, distraite par mes pensées, je me suis retrouvée très vite les pieds dans l'eau dans ce que je pensais être le chemin. La pluie avait révélé que ce petit sentier n'était pas celui des hommes mais bien celui de l'eau. J'étais donc debout dans un ruisseau au milieu des buissons. Mon blouson commençait à prendre l'eau, je sentais mes épaules humides. Mais malgré tout, j'avais bien chaud alors ça allait. C'était juste un petit contretemps, il suffisait de retrouver le sentier.

Visiblement, ce n'était pas juste un contretemps. Il y a le moment où l'on comprend que l'on est perdue et celui où l'on se fait à l'idée.

Lorsqu'enfin on a compris que la balade sera plus longue que prévu, qu'on lâche prise et qu'on n'a plus d'appréhension, on se trouve chanceuse. Quitte à être égarée de toute façon !
Je vous avoue que je n'ai habituellement pas une grande résistance pour ces choses-là, je me laisse assez facilement happée par les contretemps sans broncher. 
Parfois même, j'ai cru que je le faisais exprès, et je crois que c'est seulement dans ces moments-là que l'on peut prétendre ne rien savoir sans être, pardon, con pour autant.
C'est vrai, je ne sais pas où je suis, je ne sais pas où je vais, je ne connais personne, d'ailleurs il n'y a plus personne aux alentours. Je ne sais simplement rien mais je marche. La belle ignorance.

Alors, je me perdais sur l'île à travers les champs, les hameaux, parfois je trouvais une route. Je visitais l'île, un peu à l'écart du reste.
À ce moment de la balade, je ne reconnaissais que mes pieds avec la sensation humide d'être trempée jusqu'aux os, d'avoir marché sous la pluie des heures, dans le seul but d'aller voir plus loin. J'en avais marre mais dès que je levais la tête j'oubliais, comme si je carburais au joli paysage.
Il y a une part de vérité dans le titre du livre de Jean-Louis Etienne, "on ne repousse pas ses limites, on les découvre". 

Finalement, mon périple s'est terminé de la manière la plus inespérée.
La nuit commençait à tomber. J'accélérais un peu le mouvement pour retrouver la gare. Arrivée en ville, dans un moment de flemme devant un arrêt de bus,  je me suis dit : "je vais attendre là, un bus va finir par passer et je verrai !" Nous y revoilà, le contretemps. 

Quarante-cinq minutes s'étaient déjà écoulées. J'ai fini par pisser derrière le muret, n'en pouvant plus. Ma dernière clémentine me tenait compagnie. Pour tuer les minutes, je l'épluchais comme jamais.
J'ai attendu encore et encore, l'horaire présumé de passage était déjà passées deux fois, sans bus à l'horizon. 

Depuis quelques minutes, j'observais un vieux monsieur un peu plus loin, déposer des fleurs dans le cimetière voisin. Il traînait un peu des pieds.
Puis, il a jeté un regard vers moi, puis deux ou trois. L'idée m'a traversée l'esprit d'aller le voir, mais je me suis dit que ce n'était pas le moment de l'emmerder avec mes aventures.
Finalement, il est remonté dans sa camionnette et s'est mis à rouler. Puis, il s'est arrêté devant moi. Le temps de comprendre ce qu'il me disait, j'hésitais et en même temps... c'est l'aventure ! (ou un contretemps, encore).
Je suis finalement montée avec lui et nous sommes partis pour Dublin. 

Ce monsieur était passionné de cimetières et passait son temps libre soit à les visiter, soit à jouer dans son groupe de rock le mardi soir sur Capel street. C'est tout ce que j'ai compris en tout cas. Et moi, j'étais à 50 mètres de la gare depuis 1h30 avant de m'en rendre compte lorsqu'on a commencé à rouler. 

Voilà pour le contretemps, j'ai fini par faire un tour plus ou moins complet de l'île en plus de 7h. Je suis rentrée trempée mais amusée par cette journée, sous le regard sceptique de mes coloc'.

Par ici, je mets un croquis pour partager avec vous un peu de cette aventure...Lorsque j'ai dessiné ça, je me trouvais bien en surplomb d'un terrain de golf désert sous une pluie fine avec pour compagnie un groupe de mouettes dans une flaque et des buissons carbonisés. Drôle d'ambiance.


J'espère que mon aventure vous aura fait sourire et pourquoi pas donné envie de visiter cette île ! Vous trouverez certainement un lien avec mon article sur Sylvain Tesson, et sur ce que la marche est à l'écriture et à la pensée. 



Puis, je vous laisse avec un lien vers l'association du Dr.Etienne : ocean polaire

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